Miller & Millicent.

ça ne va pas vraiment, mais ce n’est pas grave.

Tu veux faire la tournée avec moi ? Je suis en retard j'ai pas encore décollé

Je ne veux pas te déranger…

Moi tu sais tant que j'ai un droit de véto sur le choix de la playlist

Je ne vois pas pourquoi tu n’aimes pas les Spices Girls

Ça pourrait peut être me faire du bien de sortir un peu…

Oui, il fait beau en plus. Je prends de l'essence j'arrive dans 15 mn

Est-ce que ça va ?

Oui, tout va bien.

Te fatigue pas, ton père m'a dit.

Ah…

Ne t’en fais pas, il n’est pas au courant que tu savais. Tu ne vas pas avoir de problèmes.

Je sais. Merci.

Très bien. Bonne soirée.

Tu loges où ?

Chez Thomas.

Ok.

Les sonneries se succédaient. Il le sentait, elle n'allait pas répondre, et il allait devoir se coltiner la gueule de Thomas pour aller lui annoncer en personne. Il ne savait pas du tout comment elle allait réagir. Elle serait inquiète, ou peut-être trouverait-elle qu'il l'avait bien mérité - mais dans les deux cas, la conversation risquait d'être difficile.

La sonnerie s'interrompit ; messagerie. Merde. Il pouvait réessayer plus tard mais il avait assez repoussé le moment de l'annoncer comme ça.

Alors, il retenta. Et cette fois, au bout de trois sonneries, elle décrocha.

« Millie, t'es dans un endroit calme ? Il faut que je te parle.»

Millicent était, comme à son habitude, emmitouflée entre les draps. Le lit de Thomas était maintenant devenu son refuge depuis qu’elle avait été virée du sien. « Je te préviens Millicent. Tu restes pas toute la journée à chialer dans le lit » avait dit son cher et tendre. Elle avait dit que ça irait, mais pourtant au moment de quitter le lit, elle n’en avait pas eu la force. Elle repensait à la veille, son père qui l’avait mis à la porte, la déception qu’elle avait de plus une fois été. Elle foirait vraiment tout… Elle porta une main à sa pommette. Un bleu s’était formé là où Viggo l’avait frappé. Elle le détestait pour cela, mais au fond d’elle, la blonde se disait que c’était amplement mérité.

Son téléphone sonna. Elle n’avait pas envie de répondre. Elle ne voulait parler à personne. Elle avait rejeté Cassie et Mickey quand ces derniers avaient demandé de ses nouvelles en disant que tout allait bien. Sauf que tout allait mal, mais la jeune femme ne voulait pas les embêter avec ça. Le portable sonna à nouveau. Elle regarde le nom sur l’écran. Miller… Elle commençait suffisamment à le connaître pour savoir qu’il n’arrêterait pas avant qu’elle ne décroche. Ce qu’elle finit par faire. Il faut que je te parle… Ça annonçait rien de bon.

« Oui, je suis chez Thomas. Toute seule. Qu’est-ce qui se passe ? »

Oui, elle était au calme. Elle était même seule. Pendant une seconde, Miller hésita. Peut-être qu'il fallait aller lui dire en personne - mais il était sûrement la dernière personne au monde qu'elle ait envie de voir. Et puis, Viggo n'était pas mort non plus, il ne fallait pas exagérer. Maintenant qu'il l'avait au téléphone, autant continuer comme ça. « Ok... » Il se racla la gorge. S'il y avait une bonne façon d'annoncer à quelqu'un qu'il était passé à deux doigts de perdre le seul parent qui lui restait, il ne la connaissait pas. « Hier soir, quelqu'un a réussi à s'introduire chez ton père et à le poignarder... »

Un silence s’installa de l’autre côté de la ligne, un silence pesant. Puis Miller annonça que Viggo avait été blessé. La jeune femme se redressa aussitôt de son lit alors que son cœur tambourinait dans sa poitrine. « Quoi ? Comment ? Que… » Elle perdait ses mots, ses mains commençaient à être tremblantes. Avec tout ce que son père lui avait fait vivre, elle aurait du s’en foutre, se dire que c’était bien fait pour sa gueule et pourtant… Cette nouvelle suffisait à lui faire monter les larmes aux yeux. Elle avait peur. « Qu’est-ce qui s’est passé Miller ? » demanda-t-elle d’une voix tremblante, essayant de prendre sur elle pour ne pas que Miller entende les sanglots qui commençaient à arriver. « Est-ce qu’il est… ? »

Il sentit la panique dans sa voix, regretta aussitôt de ne pas s'être déplacé. Ça n'aurait pas changé grand chose, au fond ; jamais il ne se serait permis de la prendre dans ses bras ou même de simplement lui tapoter l'épaule pour la réconforter, mais il avait l'impression que ça aurait été moins violent. « Non ! Millie, je n'annoncerai pas ça par téléphone... » Sans doute aurait-il dû commencer par-là. Pour sa défense, il était absolument épuisé. « Il a perdu une bonne quantité de sang mais il est bien vivant. Il ne devrait même pas avoir de séquelles. » Viggo était déjà redevenu fidèle à lui même : froid, aigri, cruel. Exactement le même homme qui avait mis sa propre fille à la porte quelques heures plus tôt. « C'étaient des représailles du frère de l'un de nos hommes. Un acte isolé. »

Millie sentit une vague de soulagement la gagner quand Miller confirma que son père était encore en vie et que son pronostic vital n’était pas engagé. Elle avait beau avoir de la rancœur contre lui, l’idée de le perdre était impensable. « Tu penses que je peux venir… Je ne sais pas s’il a envie de me voir… » Quand il l’avait mis à la porte, dans l’esprit de Millie, c’est comme s’il l’avait renié. Mais elle avait besoin de voir de ses propre yeux si tout allait bien. « Des représailles ? Pourquoi ? »

« Je ne sais pas... Tu le connais mieux que moi. » N'importe qui de normalement constitué, ayant vu la mort d'aussi près, aurait voulu être entouré de sa famille. De son enfant, en particulier. Mais Ødegaard ? « Je peux lui poser la question si tu veux. » Il était tenté de lui dire de faire ce dont elle avait besoin, elle ; les réactions de Viggo étaient de toute façon trop difficiles à anticiper pour être prises en compte. Mais c'était prendre le risque que la jeune femme voit son cœur voler en éclat une nouvelle fois, et Miller n'était pas sûr qu'elle soit en état de le supporter.

Un silence accompagna sa question. Il aurait préféré qu'elle ne la pose pas. Elle connaissait assez son père pour deviner que leur dispute matinale avait précipité la suite des évènements. Et elle culpabiliserait, parce qu'elle était bien plus gentille qu'elle n'aimait le laisser croire. Mais il ne se voyait pas mentir. « Des représailles pour les blessures infligées au frère de l'agresseur. » Pas de date, pas de coupable, mais il se doutait qu'elle saurait remplir les trous toute seule.

« Non… Je sais qu’il ne voudra pas me voir. Et s’il est blessé, il ne vaut mieux pas qu’il s’énerve. » Elle savait déjà qu’elle serait la réaction de son paternel s’il la voyait. Un regard dédaigneux, tout en se demandant ce qu’elle faisait ici. Il l’avait mise à la porte, ce n’était plus pour avoir à la supporter.

Maintenant, elle se demandait ce qui s’était passé. Elle se demandait qui était assez fou pour s’en prendre à Viggo Ødegaard. C’était une histoire de vengeance, de blessures infligées. « Qu’est-ce qu’il a encore fait ? » demanda-t-elle avec un soupir, se frottant le front. Elle connaissait son père. C’était un homme froid et violent, mais de ce qu’elle savait, il ne frappait pas sans aucune raison. Il devait avoir un élément déclencheur qui avait entraîné des conséquences… Un doute commençait à s’installer en elle.