Tw : Dépression, mort.
Avril 1996« Ta maman est ici ? Je voulais lui parler. » Pris d’une panique soudaine, tu te figes dans l'entrebâillement de la porte pour empêcher la mère de ton ami d’entrer. Tu avais pensé qu’elle te déposerait juste, pas plus, sinon t’aurais jamais accepté. Tu veux pas qu’elle entre ; tu veux pas qu’elle voie. C’est la honte. Et la honte, du haut de tes huit ans, tu connais déjà bien. Elle a commencé le jour où ton père a été arrêté, sous tes yeux. Et puis, il y a eu le procès, les crises de nerfs de ta mère en public, les chaussures usées jusqu’à en être trouées, les queues pour les colis alimentaires, les silences embarrassants quand la maîtresse demandait de raconter devant tout le monde ce que tu avais fait pendant les vacances.
Et puis, maintenant, la honte, elle se colle à ta peau partout, tout le temps. T’as honte de ta maman qui n’arrive presque plus à sortir de son lit, à se doucher, à sourire. Honte de ne pas réussir à être assez pour la faire aller mieux. Honte de votre maison qui devient un taudis que tes mains d’enfant peinent à la garder vivable.
Mais la maman de ton copain doit se douter de quelque chose, parce qu’elle force son chemin chez toi, et elle voit. Tout. Quelques jours plus tard, les services sociaux viennent vous chercher, toi et ta petite sœur, et vous êtes placés chez tonton Joe. Juste le temps que maman aille mieux.
Mais vous n’êtes jamais partis de chez tonton Joe. Avec les années vous êtes même devenus proches, lui et toi. Ce n’est pas un tendre, mais il t’aime bien. T’es comme le fils qu’il n’a jamais eu : il t’as pris sous son aile, et il t’apprend la vie. La leçon la plus importante à tes yeux est sûrement celle-ci : tu n’auras rien si tu ne vas pas le chercher toi-même. Et autant dire que t’en veux, des choses.
De l’argent, surtout.
Pour ne plus jamais revivre la
honte.
Il t’encourage à te former à un vrai métier, et tu choisis de devenir mécanicien - mais à côté de ça, il t’implique progressivement à sa vie parallèle. Joe connait du monde, Joe connait des combines. Il vend des armes, illégalement. Il en fournit à ceux qui deviendront plus tard les Hive, et la coopération se déroulera si bien qu’il finira par devenir une branche à part entière du gang. Tu lui files un coup de main, de plus en plus souvent. Et puis, tu montes en grade, doucement, soutenant comme ton oncle le putsch d’Ødegaard. A la mort de Joe, en 2017, tu prends la tête de la branche armes. Ce rôle te plaît. T’y serais bien resté plus longtemps, honnêtement - mais, une nuit, les esprits s’échauffent et Ødegaard abat subitement son bras droit sous tes yeux.
Promotion surprise.
Décembre 2020La petite main agrippe ton doigt, et une vague d’amour vient t’enlacer. Hazel n’est parmi vous que depuis quelques heures, et tu ne sais déjà plus comment tu faisais avant, sans elle. Un monde où elle n’existe pas n’a pas de sens. Ton regard croise celui de ta femme, et vos lèvres se rejoignent dans une caresse pressante. Dans quelques mois, la fatigue aura raison de vous. Elle vous fera penser des atrocités, réveillera le feu de vieilles querelles, vous déchirera. Vous finirez par vous séparer - mais pour l’instant, tu es heureux, et rien d’autre n’a d’importance qu’Hazel et la femme qui lui a donné naissance.