Lost in the thrill of it all • Alex

Non non non, ce n'est pas possible. Elle ne peut pas être en rade. Ça, ça n'arrive qu'aux gens pas assez prévoyants, mal organisés... Tout le contraire d'elle. Enfin... Peut-être pas tant que ça finalement. Il est vrai que depuis le retour des Queen Of Hearts sur scène, la jeune femme voit sa vie sociale éclore comme à l'ancien temps, au point qu'elle se demande comment elle a fait pour survivre toutes ces années sans l'euphorie procurée par le groupe. Et avec cette vie sociale considérablement animée, la consommation d'alcool et de stupéfiants devient plus conséquente.

Demain, le groupe s'en va plusieurs jours à l'autre bout du pays pour une représentation acoustique spéciale et Zoya réalise qu'elle va devoir faire une croix sur la poudreuse. A moins qu'elle puisse en obtenir ce soir, dernier délai. Elle supplie son dealer, qu'elle connaît bien depuis le nombre d'année qu'elle consomme à présent, se permet d'être un peu familière avec lui quand il lui répond que ce n'est pas possible. Il faut dire qu'elle est une bonne cliente et qu'elle n'a jamais fait de défaut de paiement. Elle ne négocie même pas le tarif. Autant dire, une cliente en or. Elle ne veut pas en venir aux menaces, mais l'idée lui trotte tout de même dans la tête tellement elle n'arrive pas à se faire à l'idée de ne rien avoir sous la main pour son court séjour. " Réfléchis Zoya, Réfléchis " Elle fait les cent pas dans son loft et son téléphone s'éclaire alors qu'elle n'y croyait plus. Il lui fixe un rendez-vous avec quelqu'un d'autre. Finalement, il est bon commerçant, après tout. Il n'est peut-être pas disponible, mais il s'arrange pour ne pas perdre une vente. C'est bien. Tant mieux pour elle.

L'idée que la transaction se passe à l'extérieur ne lui plaît guère, mais elle ne veut pas risquer qu'un voisin aperçoit un dealer, le reconnaisse et / ou ne fasse un esclandre. En général, Zoya se rend directement chez son dealer après avoir convenu ensemble d'un horaire. Ce soir, les circonstances sont exceptionnelles. Elle devra se rendre dans son ancien quartier, pas très loin d'où vivait sa tante et attendre le gars en question. Une liasse de dollars dans la poche, un long manteau et une casquette pour ne pas être reconnue trop facilement. Là voilà prête à retrouver cet inconnu. Elle aurait quand même pu demander quelques détails... La couleur des cheveux, la carrure, les tatouages potentiels, etc. Elle lui écrit tandis qu'elle se rend au point de rendez-vous, mais ce dernier ne répond plus. Dans quoi s'est-elle embarquée encore ? Elle soupire, loin de s'imaginer ce qui l'attend. Elle longe le port, écoute le clapotis de l'eau, quand soudain elle reconnait un visage familier. Manquait plus que ça. " Alex ?! " Malgré l'angoisse qui la gagne de croiser Alex alors qu'elle attend sa livraison, elle feint un sourire et lui ouvre même les bras pour une salutation chaleureuse. " Ca fait longtemps, dis donc. Tu… Tu vas bien ? " Demande-t-elle, un peu gênée. Zoya est partagée entre l'envie sincère de savoir comment se porte son ancien ami / amant, et le besoin qu'il s'en aille rapidement pour ne pas qu'il devienne témoin de ce qu'elle s'apprête à faire.

Son regard se détache des éclats qui scintillent au sommet des vagues, se pose un instant sur son téléphone. Le client n’est pas encore en retard, mais Alexander est pressé d’en finir. Il faut dire que la vente, et pire encore le contact client, c’est pas son truc. Son boulot c’est de terroriser assez les mauvais payeurs pour ne plus jamais avoir à les revoir, pas les fidéliser. Mais il y a ce service, qu’il doit à son collègue depuis des mois, et il semble que le jour soit enfin arrivé de l’acquitter. Une vente, une seule, et il peut rentrer. C’est plutôt honnête comme marché.

Une silhouette apparaît au coin du conteneur. Le Hive plisse les yeux en remarquant que sous cette casquette et ce grand manteau, ces traits lui paraissent familiers. « Eli-...Zoya ? » Un sourire pend à ses lèvres, mais quelque chose remue dans sa poitrine, rampe comme un serpent entre ses côtes et remonte dans sa gorge. Oui, ça fait longtemps. Longtemps qu’elle l’a gentiment sorti de sa vie. Pas de drame, pas de cris, pas de disparition soudaine non plus. Juste les messages qui se tarissent, les occasions qui se perdent, l’affection qui se distend. Alexander ne lui en veut pas. Zoya avait une carrière qui l’attendait. Dieu sait combien elle avait travaillé dur pour caresser ce rêve des doigts. C’est normal, de ne plus avoir le temps. C’est logique, de perdre des gens en chemin. C’est la vie, rien de plus. Son sourire se fige un peu. « Ouais, ça va. » Non. Pas vraiment. L’ex de Sacha a essayé d'enfoncer sa porte cette nuit. Elle est traumatisée. Tout ce qu'Alexander veut, c’est faire sa vente, retourner à ses côtés, et trouver un plan pour régler le problème.

Mais ce serait mentir de dire que l’apparition soudaine de cette amie du passé ne l’intrigue pas. Son regard la détaille. Il la trouve toujours aussi belle - peut-être même plus qu’avant -, mais quelque chose a changé. « Et toi, ça va ? Je pensais pas te revoir ici un jour. » Ici, à Red Hawk ; mais plus encore dans un coupe-gorge comme les docks.

C'est si étrange de retrouver une vieille connaissance. Enfin, non, pas tant que ça finalement, car des vautours qui ont refait surface à mesure que le groupe gagnait en popularité, elle en a vu. Elle en a vu beaucoup. Certains, qu'elle a cru sincères avant de vite s''apercevoir de la supercherie. Mais Alexander, lui, n'avait fait aucune apparition soudaine dans sa vie avec l'arrivée de la célébrité, et ça, c'était agréable. Elle a beau apprécier le jeune homme, clairement, il fait tâche avec son nouveau mode de vie. " Uhm, ça va, merci. " Evidemment, elle ne dit pas le fond de sa pensée. Elle ne dit pas qu'elle angoisse légèrement en pensant à l'arrivée du dealer. Elle souhaitant que la transaction se fasse au calme, sans témoin, sans rien ni personne aux alentours. Il faut qu'elle coupe court la conversation avec Alexander car si le dealer la voit accompagnée, il serait capable de faire demi tour. Enfin, elle suppose. En fait, elle ne s'est jamais retrouvé dans cette situation. "Oui, je m'étonne également à vrai dire... Je n'arrivais pas à dormir, j'ai voulu faire un tour dehors et voilà où mes pas m'ont menée." Elle hausse les épaules. Est-elle seulement crédible ? Aucune idée.

Elle tend l'oreille, essaye d'entendre si des pas sont en approche, mais le son des vagues qui s'écrasent violemment est tout ce qu'elle parvient à entendre. Normalement, elle adore ce son, mais ce soir, ça l'angoisse. Elle ne peut pas se faire cramer. Hors de question que ça arrive. Il faut qu'elle s'éloigne d'Alex. " D'ailleurs, ça me fait plaisir de te voir, mais il faut que je reprenne ma route. Demain, on reprend les concerts, il faut que je dorme un peu." Elle lui sourit, se veut le plus amical possible dans cet au revoir forcé, mais quelque chose n'est pas sincère, ça se sent à des kilomètres. C'est à cet instant que son téléphone vibre dans la poche de son gros manteau. La description ! Elle va avoir la description du dealer qu'elle avait demandé alors qu'elle marché en direction des docks. Elle sort son téléphone devant Alex, se moquant bien que ce soit malpoli et elle lit attentivement les quelques mots supposés rendre identifiable son vendeur de coke. Elle relit. Elle a besoin d'être sûre. Son visage se décompose. Il tait son prénom, mais elle doit se rendre à l'évidence. Alexander n'est pas là pour rien. C'est lui qui a sa dose. " Oh." Deux chois s'offrent à elle à présent, laisser tomber la transaction et rentrer chez elle, au moins, de cette façon, Alex ne saura pas qu'elle est cliente, ou alors... Assumer, payer, récupérer sa dose… Elle se mord l'intérieur de la joue. " Uhm… Je crois que tu as quelque chose pour moi… " Qu'elle s'entend dire à voix basse, pas fière de ce qui s'apprête à suivre.

La réponse de la jeune femme le surprend. Zoya connaît Red Hawk. Elle connaît les docks et leur réputation. Le coup de l’insomnie et des pas qui l’amènent là par hasard, Alexander y croit moyennement. Elle expédie aussitôt la conversation, prétextant devoir dormir. Tout sonne faux, même elle le sait.

Et il réalise. Peu importe les sentiments qui les avaient liés, à l’évidence il n’en reste rien de son côté.

Ça ne devrait pas atteindre le jeune homme. Il est fou amoureux, plutôt bien entouré. Il a connu des périodes bien plus compliquées - en fait, hormis les évènements de la nuit précédente, il est même plutôt heureux. Peu importe qu’une amie du passé ne veuille plus de lui. Mais l'impression de vide qui grandit dans sa poitrine lui est familière et il déteste ça. Ce sentiment de rejet. C’est toujours pareil. On l’aime bien pour s’amuser quelques temps, le plus souvent loin des regards, parce qu’apparemment il est dur de l’assumer - et puis on se lasse. « Ok » il lâche juste, l’air indifférent. C’est encore ce qui l'épargne le plus : faire semblant de se foutre de tout. Visiblement peu intéressée par leurs adieux, elle regarde son téléphone, et son visage se décompose. Elle finit alors par se tourner vers lui, avouant, gênée, qu’il a quelque chose pour elle. Il lui faut une seconde pour comprendre : le client, c’est elle. « Oh. » Machinalement, il passe sa main sur son sweat, sous lequel le pacson est planqué. C'est quand même une belle quantité. « C'est marrant, j’ai rien qui fasse dormir pourtant. » Sa voix ne parvient plus tout à fait à masquer sa rancœur. Qu’on se foute de lui, passe encore, mais elle pourrait lui épargner au moins un peu de dignité en ne le rendant pas tout à fait évident.

Il ne bouge pas, hésitant. Il a envie de rendre service à son collègue, mais pas de laisser Elisabeth repartir avec de quoi faire 10 overdoses. Un client régulier, il avait dit. Ça craint. « Merde, Zoya. » Il s'éloigne de quelques pas, se retourne. « Avec le mal que tu t’es donné pour te tirer d’ici, tu reviens dans cette ville de merde juste pour te camer, t’es sérieuse ? » Comme s’il était bien placé pour parler. Comme s’il n’y touchait jamais, lui, et qu’il n’avait pas en plus son propre poison favori. Il ne sait pas s’il est vraiment inquiet pour elle ou si c’est juste son égo blessé qui prend le dessus, sans doute un peu des deux ; mais sa décision est prise. « Compte pas sur moi pour te vendre ça. »

L'angoisse qui l'accablait quand elle pensait encore que le dealer puisse débarquer alors qu'elle avait sa petite conversation avec Alex a disparu - remplacée par une sorte de soulagement mêlée à la peur du jugement. De la honte ? Peut-être un peu également, bien que
ce soit une émotion à laquelle elle est normalement immunisée. Pas d'autres choix lorsqu'on gagne en popularité et qu'on retrouve son visage partout en ligne, laissant la place à des commentaires haineux, voire racistes. Elle gratifie Alexander d'un sourie gêné, les mains dans les poches, tâtant les quelques billets qui vont bientôt changer de propriétaire. Qui sait, peut-être que comme ils ont été amis, il lui fera une remise.

Son secret n'est plus, mais elle se sent malgré tout en confiance avec le jeune homme. Il ne dira rien. Elle tente de s'en convaincre. Il n'ira pas appeler la presse people pour raconter que la chanteuse des Queen Of Hearts est une droguée. Cependant, la réaction de ce dernier n'est pas celle à laquelle elle s'attendait non plus. Après tout, comment aurait-elle pu deviner ? Ils se sont connu fut un temps, mais l'un comme l'autre a changé. " Alex… Ne le prend pas comme ça, ce n'est pas pour moi. C'est pour le groupe. " Menteuse… Mais elle se rend compte qu'elle est prête à tout pour essayer de dédramatiser la situation, quitte à mettre ses acolytes dans le même panier qu'elle alors qu'elle n'a jamais partagé la moindre de ses lignes avec eux. " Tu sais comment c'est… Après un show, il y a l'after, tout le monde veut faire la fête et voilà… C'est comme ça. " Elle hausse les épaules, comme si elle était sur le point d'acheter une bouteille de bière. Sauf qu'entre la cocaïne et la bière, il y a la notion de légalité qui intervient. " C'est juste pour faire durer la fête un peu plus longtemps. " Pour Zoya, c'est devenu indispensable pour garder le rythme, ainsi, elle est carrément déboussolée quand Alexander lui assène qu'il ne lui vendra pas la drogue.

" Attends… Quoi ? " Ses yeux écarquillés essayent de comprendre les signes non verbaux du garçon et malheureusement pour elle, il semble déterminé à ne rien lui vendre. Elle tente le tout pour le tout. " Dis donc, ton collègue est moins difficile… " Elle déglutit. Son cerveau fatigué et nerveux se met à chercher une solution de tout urgence. Elle ne peut pas échouer si près du but. Elle remet les mains dans les poches et en sort des liasses de petits billets. " Je suis fatiguée Alex, dis moi combien tu en veux et qu'on en finisse. " Son regard virevolte entre le jeune homme et ses mains, déjà en train de compter les billets.