Tw : homophobie, racisme
«
Hey Tchi, allez raconte, ça fait mille ans que tu tourne autour du pot. Vas-y gros. »
L’intéressé relève ses yeux sur ses amis. C’est vrai qu’il leur avait promis de tout leur dire pour son anniversaire, ce qu’il n’avait jamais voulu annoncer parce qu’il sait comme les gens jugent. Et il avait tellement raison, encore une fois. Pourtant le jeune homme se lance.
«
Je suis né de Tara, ma mère black, dans le Texas. Elle a fait un bébé toute seule comme on dit, enfin toute seule c'est compliqué mais en même temps elle a jamais saqué les mecs. Forcément. Bon, du coup elle aurait aimé une fille. » Il hausse les épaules. «
Elle a rencontré Jing, ma mère asiat’ quand elles étaient jeunes là bas. Elles sont docteures toutes les deux l’une dans le privé et l’autre dans le public. Je sais pas pourquoi elles restent ici à Red au lieu d’aller à White… m’enfin, y paraît qu’on est mieux là. Et c’est chez nous, fin chez elles. » Les premiers regards de jugement commencent. C’est vrai qu’il ne cri pas sur tous les toits avoir deux mamans. Ni qu’il peut être amené à aimer autant une fille qu’un garçon, parce que c’est le coeur qui compte, pas le sexe de la personne. Xiyang joint ses mains. Le malaise s’installe. Il ne veut pas parler de ses aventures, ça leur foutrait un coup. Déjà qu’ils ont du mal à accepter qu’il soit le fils d’un couple de lesbiennes alors ça. Des potes d’écoles, à l’esprit étriqué, aussi étriqué que la réaction d’un ordinateur quand le code est mal fait.
La réalité était un peu plus compliquée que ce qu'il venait de résumer sur sa vie. Sa mère, Tara, l'a bien enfanté, mais avec le concert de Jing. Déjà à l'époque elles étaient ensemble, même si éloignées à cause du travail de la chinoise dans l'hôpital public de Whitebridge. Mais c'est bien cette dernière qui a suggérée le prénom de l'enfant, là où il porte fièrement le nom de celui de sa génitrice. A sa naissance les deux femmes ont décidé de vivre leur amour au grand jour et d'emménager chez Jing à Red Hawk.
«
Et du coup, tu taff dans une boîte de nuit le week-end c’est ça ? » Il hésite, fort, ça faisait pas très longtemps en fait, depuis son début d’année scolaire. Parce qu’il ne voulait pas ennuyer ses mères s’il avait besoin de nouveaux fringues, d’un truc à bouffer ou juste de se payer un restau. «
Je suis danseur. » Les rires fusent. «
Tu dois être un beau clown. Purée, avec ta tronche, on doit avoir du mal à te voir. » Ca recommence. Finalement, ils sont tous pareils. Ils ne sont autour de lui que par intérêt. C’est vrai, il ne refuse pas d’aider ses camarades de classe, même s’il reste sur la réserve. C’est vrai, il est prêteur, même si souvent il ne récupère pas ses affaires.
Au moins sur la piste de danse on ne lui demande rien, c’est lui qui fait le show. C’est lui qu’on regarde parce qu’il fascine. Il n’est pas là bas pour donner, il est là bas pour profiter, pour s’inventer un monde. Un monde qu’il aime retrouver lors d’un bon karaoké, qui se faisait rare à part avec ses mères. C’est que des vrais amis, il en avait peu, et ils étaient souvent occupé. Même s'il était toujours le premier à les inviter pour aller faire la fête, notamment dans les parcs d'attractions où il était le premier à se déguiser.
«
Hey les gars, manquerait plus que Tchi soit PD, et la boucle est bouclée. Un gogo-dancer black PD avec des mères gouines. Tu dois pas avoir beaucoup de succès, quoi que, j’suis sur que tu plais bien aux tafioles. Tu dois être leur genre. » des rires gras. Mais Xiyang ne se révolte pas, il s’en va. Il n’a pas de temps à perdre avec des gens qui ne comprennent rien à l’amour. Au moins en racontant son histoire, il savait quand il pouvait avoir un semblant d'espoir envers les individus qui l'écoutaient. Une façon de faire le tri. Après tout, quel est le problème de ne pas être comme tout le monde ? C’est si monotone de tenter de rentrer dans le moule. Lui aime l’extravagance, quand elle est contrôlée. Il aime faire des choses qu’on ne fait pas en temps normal pour déclamer ses sentiments.
Dans la rue, il croise une bande de caucasiens et alors qu’il va pour tourner avant eux, ils l’arrêtent et l’entraînent à leur suite dans une ruelle non loin. Ce sont des insultes gratuites, parce qu’il est noir et qu’ils sont attardés. Ce sont des coups encore que son corps endure. Ils ont la présence d’esprit de ne pas le frapper où ça pourrait se voir. Laissé pour compte, quand il rentrera ses mères seront encore inquiètes mais puisqu’il ne parle pas, elles ne lui posent pas de questions indiscrètes. C’était pourtant son anniversaire. Mais c'était aussi le week-end et ce soir il était partit pour danser, se déhancher et oublier encore une fois tous ses soucis.
Bon sang que c'est libérateur. Là sur la piste, il s'envole. Il est bien, il est souriant, il est joyeux. Il est aussi bien différent dans ce qu'il porte, beaucoup plus lumineux, beaucoup plus coloré, jusqu'à ces lunettes teintées qui lui donne l'air d'un parfait fêtard. C'est ce genre d'univers qui lui plait, enflammer la piste, enflammer les gens, les motiver à s'amuser, relancer un peu lorsque ça se calme.
Et puis au boulot, on est tolérant, parce qu'on ne lui pose pas de question sur ses parents, sur ce qu'il aime faire en dehors de la danse. Dehors c'est sa vie privé, quelque chose qu'il abandonne dès qu'il sort du vestiaire. De la poudre aux yeux, de la poudre qu'il aimerait toujours pouvoir répandre sur le monde, mais il ne peut pas forcer les gens à l'aimer, pas plus qu'on ne peut le forcer à aimer les autres.
Il a beau être jeune, il cherche son grand amour depuis ses 16 ans, sans grand succès. Parce qu'on prend le pack : lui, bien sûr, avec ses différentes facettes, mais ses mères aussi, parce qu'il était hors de question qu'il ne puisse pas aller les voir même s'il emménageait avec sa moitié au moins une fois par semaine lors d'un repas ou d'une soirée.