Machination [ft Camille]

Le froid s'était déjà insufflé dans la vie de Red Hawk, l'automne balayant l'été du revers nonchalant de sa main froide. Le vent soufflait et balayait les feuilles au dehors tandis que la rouquine campait sa position, perchée sur une poubelle, les pieds ballants. Les docks étaient de ces endroits que Nevada adorait, où elle explosait dans le décor tout en se fondant dans une masse ; les habitants de cette ville si particulière à ces yeux. On était loin de la gueule de Cleveland, ou de la taille de Boston. Non, Red Hawk avait une âme bien plus marquée au coeur de Nevada. Sans doute l'appel du foyer.

Ils avaient convenus de ce plan quand ils avaient vu plusieurs voitures bien foutues passer dans le coin. Les habitués ne venaient jamais avec de belles Mercedes flambant neuves, c'était un coup à se faire braquer mais le projet de rachat de la ville semblait faire oublier aux habitants de Whitebridge qu'ils n'étaient pas chez eux. Il fallait sans doute faire un petit rappel des règles du jeu.

Aussi la rouquine et quelques uns de ses camarades ont mis au point ce petit plan des plus aisés. Et dire qu'avec ça elle ne rentrait même pas dans les Red Feathers. Son père ignorait ce qu'il perdait. Sur son perchoir, un bandana rouge autour du cou remonté jusque sur le nez pour se protéger du vent d'automne, Nevada fait le guet jusqu'à apercevoir les traits finement taillés d'une voiture parfaitement ciblée. Parfait.

Un sifflement, elle saute de son piédestal urbain pour aller se cacher, dans l'attente du moment parfait pour faire les poches au petit riche qui servira de leçon.

C’est fou le pouvoir d’une chaîne cloutée. Jetée au milieu de la route, elle n’a aucune autre mission que faire éclater les pneus du véhicule bourgeois. La BMW s’arrête et immédiatement, la chaîne est retirée de la route, tirée loin de la vision du mec qui sort de sa caisse. Amateur, se dit la rouquine, appuyée contre un mur non loin, à l’angle de la ruelle qui croise la route du crime. Ses yeux bleus ne se détachent pas de l’action qui se met peu à peu en place.

Elle n’entends pas les discussions quand les gars du quartier s’approchent du type qui n’a de toute évidence aucune conscience de l’endroit où il se trouve. Qui sort un téléphone aussi cher en étant immobilisé à Red Hawk ? L’idée intelligente aurait été de s’enfermer dans la bagnole. Mais non. Nevada roule des yeux ; c’est presque trop facile. Elle sait très bien que les mecs sont en train de réclamer son cash à ce pauvre gars, peut-être qu’ils tentent de récupérer les clés de la BMW en arguant qu’il pourra s’en racheter une. La rouquine ricane et se détache de son observatoire pour récupérer sa moto non loin, pour bien faire comprendre qu’elle est là par hasard. Pistolet piqué à papa glissé dans la ceinture, elle grimpe sur la bécane, enfile en vitesse son casque et démarre le bolide, sortant de la ruelle sous le bruit du moteur, avec un parfait timing puisque ses complices en sont à sortir leur arme de poing pour menacer ce pauvre riche, victime d’un complot qui le dépasse.

Elle stoppe sa moto à quelques pas d’eux, le foulard toujours remontée sur son nez quand elle les interpellent :

- Hey ! Dégagez bande de rats !

Elle baisse le foulard tandis que le plus grand du groupe, celui qui est armé, se tourne vers elle :

- T’as rien à foutre là DMG, dégage !
- Barrez vous j’ai dit !

Elle sort son propre pistolet de son dos, le pointant vers eux. Tension palpables, excellents comédiens de part et d’autres ; elle lève l’arme et tire en l’air :

- La prochaine elle est pour toi Orovitch !

Abandon de la part des braqueurs, ils décampent sans demander leurs restes. Elle sait maintenant que c’est à elle de jouer. Elle coupe son moteur, descend de sa moto et s’approche de l’inconnu, rangeant son glock dans son dos, coincé dans sa ceinture, et retire son casque, remettant rapidement ses cheveux roux en place.

- Tout va bien ?

Oh elle ne doutait pas du choc sur lui, la rouquine, quand elle le voit, là, tout flasque adossé à sa voiture. Par terre. Elle retient un ricanement mais ses lèvres trahissent un sourire amusé qu'elle s'empresse de dissimuler en retirant son casque, passant ses doigts dans ses longs cheveux roux pour les remettre en ordre, la protection glissée sous son bras. C'est qu'elle doit lui faire bizarre ; là, avec sa veste en cuir brune et son jean, le foulard rouge autour de son cou noué vers l'arrière, sous cette tignasse de feu qui la caractérisait tant. Ses yeux bleus accrochent le mec et elle voit bien qu'il a mal de s'être fait sauver par une meuf. La misogynie est le quotidien de Nevada, qui ne peut rentrer chez les Red Feathers du fait d'avoir un vagin. Le mec se relève et elle suit son regard avant de se retourner vers lui, haussant les épaules :

- Ils reviendront pas, j't'assure, affirme-t-elle avec nonchalance et désinvolture tandis que le gars semble être en galère.

Elle le regarde se débattre avec des dilemmes intérieurs, sans savoir réellement ce qu'il a dans la tête, puisqu'il ne pourra pas bouger. Et à sa question, la princesse de Montgaillard hausse un sourcil :

- En laissant la bagnole là ? C'est naif... ou complètement stupide.

Elle fait mine de réfléchir mais qui dit club de biker dit mécano et garagiste. Elle fait un signe à son petit bourge de service du moment et sort son portable pour envoyer un SMS rapide à qui de droit chez les Feathers pourra récupérer le véhicule.

- Un pote va v'nir récupérer la bagnole, pour l'amener au garage du coin, à deux rues d'ici. Au moins elle s'ra en sécurité. Et moi j'te ramène.

Elle lui laisse pas vraiment le choix ; elle sait que la bagnole sera bien traitée, mais que le pauvre gars va payer une blinde et surtout, plein pot. Les affaires sont les affaires ! Elle revient à sa moto, accrochant son casque à la poignée pour soulever et le siège et en attraper un autre, qu'elle lui tend. Il a pas la dégaine à monter sur sa bécane, et ça la fait sourire sans qu'elle ne cherche à s'en cacher. Elle se remet en selle, l'invitant à grimper derrière elle :

- Au fait, j'm'appelle Nevada. Et j'aime pas trop transporter les gens qui n'ont pas de noms dit-elle, sans menace dans la voix et un sourire malicieux aux lèvres.

Pas besoin de jouer la comédie quand son charme naturel fait le travail, pas vrai ?